Après la pandémie du Covid-19, beaucoup de jeunes adultes des pays occidentaux ont souhaité donner un sens à leurs projets de voyage. Que cela soit dans le cadre d’une année de césure ou juste le temps d’un été, de nombreuses personnes disent vouloir partir en mission de volontariat à l’étranger: une bonne occasion de valoriser son CV tout en faisant une “bonne action”. Il est courant aujourd’hui de voir sur les réseaux sociaux des personnes blanches se mettant en scène en compagnie d’enfants dans des pays au-delà du continent européen. Il y a là l’envie d’être vu et reconnu comme étant une “bonne personne”. Cependant, il s’agit surtout d’une “quête de soi plutôt qu’une quête de l’autre” pour reprendre les mots de l’anthropologue française Amandine Southon.
C’est dans ce cadre que l’on peut parler de white saviorism.
Aussi appelé complexe du sauveur blanc, il s’agit d’un complexe de supériorité de personnes blanches qui pensent pouvoir “sauver” les personnes/communautés en difficulté.
La problématique ici n’est pas le désir d’engagement d’une personne mais la façon dont ceci est réalisé.
Un des principaux problèmes est la perpétuation de stéréotypes assimilés au “tiers-monde”, notamment à travers l’idée que les pays non-occidentaux seraient intrinsèquement pauvres, nécessitant de l’aide.
Derrière l’illusion de solidarité, il y a une confirmation de la situation privilégiée d’une personne blanche face à des populations non-blanches.
Un phénomène ancré historiquement
L’origine de ce phénomène peut être placé à partir de la domination européenne. Dès le XVe siècle, des missions civilisatrices étaient envoyées dans les territoires extra-européens pour aider les peuples qui y vivaient, considérés comme inférieurs et non civilisés.
Cela s’est ensuite largement développé au XIXe siècle, avec l’imposition d’une hiérarchie des races et une vision paternaliste des rapports entre le Nord et le Sud. C’est dans ce cadre que l’écrivain britannique, Rudyard Kipling, publie un poème soutenant l’idée que le rôle de l’Occident était d’”élever” les peuples colonisés.
Depuis le XXe siècle, l’aide internationale s’est largement développée. Entre les années 60 jusqu’au tournant des années 2000, les ONGs locales se sont multipliées, investies dans de multiples causes, réalisant des projets de développement sans prise en compte des réalités locales.
Le terme de white saviorism est réellement apparu en 2012 avec la publication de l’essai The White Savior Industrial Complex de l’auteur nigéro-américain Teju Cole. L’auteur critique les individus blancs et leur engagement dans des causes humanitaires en Afrique. Ces derniers ne questionnent pas leur position sociale et ne s’intéressent pas à la complexité des problèmes auxquels font face les populations. La participation aux voyages “humanitaires” sert surtout à faire vivre une certaine expérience à l’individu blanc, validant ses privilèges.
La multiplication de contenus sur les réseaux sociaux combinée à la promotion faite par certains organismes renforce ce phénomène. L’humanitaire est devenu un véritable business dans certaines régions du monde.
Comment éviter ce genre de comportements ?
Prendre du temps pour aider autrui est une action honorable quand elle est sincère. Il ne faut pas oublier que la précarité ne connait pas de frontière: elle existe aussi tout près de chez soi. Avant de partir à l’autre bout du monde, il peut être pertinent de s’engager localement, en se renseignant directement auprès des associations et autres organismes à l’échelle locale. Il y a là une opportunité de mieux comprendre les mécanismes d’exclusion et de solidarité. Cela permet également d’éviter les maladresses et de s’engager dans un projet mal ciblé, aux ambitions parfois floues.
Si la volonté de partir, tout en donnant un sens au voyage, est toujours présente, il est nécessaire de développer une réflexion sur l’utilité de la présence de personnes externes sur le terrain. Dans beaucoup d’endroits, les organisations locales disposent déjà de compétences et de savoir-faire. La capacité d’action peut être ralentie voire inutile lorsqu’une aide extérieure intervient sans réelle expertise/compréhension du contexte.
De nombreux observatoires publient des rapports sur des crises humanitaires. Se renseigner est une première étape avant de s’engager.
Pour éviter le volontourisme, il est nécessaire de contacter une association fiable, qui propose une formation spéciale et un accompagnement certain. Les missions de plusieurs mois sont plus pertinentes que les séjours courts, afin de construire une relation de confiance avec les populations concernée.
Enfin, pour éviter le comportement du sauveur blanc, il est impératif de respecter autrui. Quand on part à l’étranger, il convient de ne pas utiliser l’image des populations locales à des fins de valorisation personnelle sur les réseaux sociaux.