Publié par le ministère français de l’Intérieur le 30 octobre 2025, le rapport « Vécu et ressenti en matière de sécurité » (VRS), rapporte qu’en 2024, 107 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint en France. Ce chiffre témoigne d’une hausse de 11% par rapport à 2023.
Cette situation alarmante s’inscrit dans un contexte plus large de dégradation des conditions de sécurité. Toujours selon le rapport VRS, les violences sexistes et sexuelles (VSS) sont en forte augmentation tandis que le sentiment d’insécurité progresse dans les espaces du quotidien (domicile, transport, quartier, entre autres). Parallèlement, le système judiciaire continue de classer une grande majorité des plaintes pour violences conjugales ou sexuelles, invoquant « un manque de preuves ». Les associations d’aide aux victimes, quant à elles, débordent et la coordination des politiques de prévention reste trop lente.
Un tel constat ne peut être qu’alarmant. Le rôle de l’Etat en lui même vient à être questionné, en tant que garant de la sécurité de l’ensemble des citoyen·ne·s alors que le système tend à résister à une transformation structurelle.
Un système de protection en défaillance
Les femmes représentent la principale catégorie de victimes de violences au sein du couple. En 2024, elles représentent 77% des décès recensés (soit 107 victimes sur 138). Le profil des auteurs demeure inchangé: 90% des féminicides sont commis par des hommes, au domicile du couple.
Des failles significatives dans la chaîne de protection des victimes sont à soulever. En septembre 2025, un rapport du groupe d’expert·e·s sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO), porté par le Conseil de l’Europe, dénonçait la mauvaise prise en charge des victimes de VSS en France.
Malgré le lancement en 2019 d’un Grenelle des violences faites aux femmes à la suite du mouvement #MeToo, ce rapport thématique montre que la réponse judiciaire demeure insuffisante, comme en témoigne le taux très élevé de classements sans suite pour les violences sexuelles, renforcé par des enquêtes défaillantes et la persistance de pratiques telles que la correctionnalisation (c’est-à-dire faire passer juridiquement un crime pour un délit).
Parallèlement, l’accueil des victimes par les services de police et de gendarmerie est souvent problématique. Porter plainte en France peut s’avérer être un chemin relativement sinueux. Amnesty International parle en ce sens de « manque d’empathie, culpabilisation, voire accusation d’avoir agi de manière à mériter la violence ». Cette situation est également inégale en fonction de l’origine de la personne ou d’une minorité de genre, accentuant ainsi ce sentiment de défiance envers les autorités.
La méfiance envers les forces de l’ordre semble aujourd’hui encore plus s’aggraver. En effet, en novembre 2025, un rapport du collectif NousToutes vient dénoncer les VSS commises par la police nationale et la gendarmerie. Le collectif appelle ainsi à une prise de conscience sur les violences commises par les détenteurs de l’autorité publique.
Ensuite, toujours selon le rapport du GREVIO, les ressources allouées aux associations spécialisées sont insuffisantes et fragmentées, rendant difficile la continuité et la qualité des services. En matière de protection immédiate, l’absence d’un dispositif d’ordonnance d’urgence conforme à la Convention d’Istanbul et la sous-utilisation des ordonnances de protection limitent la capacité d’intervention rapide des autorités.
Enfin, les obstacles rencontrés par les femmes victimes de discriminations croisées, ainsi que la persistance de la victimisation secondaire(violence institutionnelle en plus du préjudice subi), témoignent de lacunes systémiques et de l’insuffisance de la formation des professionnels.
Ces constats appellent une action renforcée, coordonnée et pérenne afin de garantir une réponse pleinement protectrice et conforme aux engagements internationaux de la France.
Une réponse institutionnelle en contradiction avec la protection attendue
Dans ce contexte, les institutions publiques, y compris celles chargées de la sécurité et de la justice, sont perçues comme reproduisant les rapports de domination : le maintien de l’autorité parentale pour les pères violents et l’absence de coordination centralisée entre acteurs contribuent à la vulnérabilité des victimes et de leurs enfants, tandis que les approches judiciaires et thérapeutiques traditionnelles perpétuent parfois la victimisation secondaire.
Le concept de « culture du viol » souligne également le paradoxe entre la réprobation sociale des violences et l’impunité judiciaire. Les agresseurs sont souvent disculpés, les victimes culpabilisées, et le faible taux de plainte ainsi que le classement sans suite montrent que le système tolère implicitement les violences.
Cette dynamique explique en partie l’augmentation des féminicides malgré la hausse de la parole et de la déclaration des violences. L’État apparaît comme manquant à sa mission fondamentale: garantir la sécurité de toutes et tous.
Construire un système de protection renforcé
Face à l’ampleur des violences faites aux femmes et aux défaillances persistantes du système de protection et de justice en France, plusieurs pistes d’action émergent, inspirées à la fois des modèles étrangers et des revendications féministes.
La mise en place d’un pilotage centralisé, à l’instar du système espagnol VioGén, permettrait de coordonner l’ensemble des acteur·rice·s et de garantir un suivi cohérent des victimes, alors qu’actuellement celles-ci doivent naviguer entre de nombreux interlocuteur·rice·s sans articulation efficace.
Le renforcement massif des moyens, qu’il s’agisse de la justice ou de l’hébergement sécurité, ainsi que dans la formation des agents de police apparaît comme indispensable. Malgré des budgets cumulés, les dispositifs restent insuffisants face à la saturation des associations, aux réductions de subventions, et à l’insuffisance des places d’accueil.
L’adoption en France d’une définition légale du consentement est une première étape dans l’amélioration de la réponse pénale aux violences sexuelles. A cela doit s’ajouter une diminution effective des classements sans suite, un accompagnement renforcé des victimes pour la collecte et conservation des preuves ainsi qu’une réforme de l’exercice de l’autorité parentale dans les situations de violences conjugales.
Ces changements doivent s’inscrire dans une mobilisation plus large de l’ensemble des acteurs de la société pour compléter l’action publique et renforcer les dispositifs de soutien. De son côté, POUR LA SOLIDARITE – PLS porte des initiatives comme le réseau CEASE permettant d’impliquer les entreprises dans la détection, la prévention et l’orientation des victimes de violences, contribuant à faire des lieux professionnels des espaces sûrs.