Europe : le grand retour du service militaire ?

« Il faudra accepter de perdre ses enfants ».

Cette déclaration du général Mandon la semaine passée, affirmant qu’une guerre avec la Russie exigerait des sacrifices humains massifs, a provoqué une onde de choc en France. Au-delà du tollé, elle révèle un mouvement européen plus profond : un retour politique, parfois implicite, à la logique du service militaire. Entre inquiétudes géopolitiques, pression médiatique et montée des thématiques sécuritaires, plusieurs gouvernements rouvrent la porte à des formes renouvelées d’appel sous les drapeaux.

 

France : vers un renouveau du service national ?

Aboli en 1997, le service militaire français n’avait plus vocation à réapparaître dans le paysage politique. Cependant, le sujet est remis à l’autre du jour : sans explicitement proposer de réintroduire la circonscription, Emmanuel Macron a annoncé mardi envisager une « transformation du Service national universel (SNU) ». Une formulation floue, mais suffisamment évocatrice pour alimenter toutes les spéculations, notamment un retour déguisé vers le service militaire originel.

Cette inflexion témoigne d’un changement de paradigme : la France, comme d’autres États européens, prend acte d’un monde où la guerre n’est plus une hypothèse théorique mais une donnée plausible.

 

Belgique : un volontariat très encadré

La Belgique, elle, avait supprimé le service militaire en 1994. Aujourd’hui, elle ouvre la voie à des formes élargies de circonscription volontaires.

En 2026, le pays lancera l’année de service militaire volontaire. Les jeunes de 17 ans ont déjà reçu une lettre les invitant à y participer : selon le ministère de la Défense, près de 5 000 se sont déjà inscrits aux séances d’information proposées par le ministère. L’initiative se veut non contraignante, mais elle marque une ré-institutionnalisation progressive du lien entre armée et jeunesse.

 

Allemagne : un questionnaire pour sonder les futurs appelé·e·s

L’Allemagne avait elle aussi, abandonné la conscription au tournant des années 2000. Mais en août dernier, le gouvernement a adopté une loi visant à réinstaurer un service militaire volontaire. À partir de 2026, un questionnaire sera envoyé aux jeunes de 18 ans pour évaluer leur intérêt et leurs compétences en vue d’un engagement dans la Bundeswehr. Là encore, rien d’obligatoire, mais un mécanisme institutionnel assumé pour recruter et préparer la population à des scénarios de défense.

 

Une disparition massive dans les années 1990–2000…

Entre les années 1990 et 2000, la plupart des États membres de l’Union avaient tourné la page du service militaire : France, Belgique, Pays-Bas, Espagne, Slovénie, République tchèque, Allemagne… Seuls six pays européens ne l’ont jamais abandonné : l’Autriche, Chypre, le Danemark, l’Estonie, la Finlande, et la Grèce.

Cette vague d’abolitions s’expliquait par une conviction profondément ancrée : en Europe, « la guerre a été éradiquée ». La construction européenne, la chute du mur de Berlin, l’intégration économique et politique semblaient offrir une garantie de paix durable. Dans ce contexte, la conscription apparaissait comme un vestige anachronique.

 

… mais un réveil brutal avec la guerre en Ukraine

Le 24 février 2022 a balayé cette illusion.

La guerre en Ukraine a rappelé que le conflit armé n’avait jamais réellement quitté le continent, et que la défense européenne devait dépasser le stade du concept théorique.

Ce choc a ravivé la question de la préparation militaire des populations. Les États doivent désormais envisager des scénarios autrefois inimaginables, et certains redécouvrent subitement l’utilité politique, symbolique et opérationnelle d’appeler la jeunesse à participer à l’effort de défense.

 

Un contexte international inquiétant : incertitude américaine, tensions globales

À cela s’ajoute un autre facteur : l’imprévisibilité croissante des États-Unis, piliers de l’OTAN et garants historiques de la sécurité européenne. Plusieurs annonces de possibles retraits de l’Alliance ont rendu les États membres nerveux.

Dans un monde marqué par les tensions économiques, idéologiques et militaires, l’Europe ne peut plus se reposer entièrement sur Washington. D’où une réévaluation accélérée des moyens nationaux et de la disponibilité citoyenne.

 

La montée de l’extrême droite : insécurité, défense, repli

La montée de l’extrême droite en Europe joue également un rôle central dans le retour du service militaire.

Ses thématiques de prédilection, insécurité, défense, souveraineté, repli sur soi, etc. saturent le débat public. Elles structurent désormais l’agenda médiatique et politique. Sans surprise, ces discours poussent les gouvernements à s’emparer des questions de défense, dans un climat où l’opinion, inquiète, est plus réceptive qu’auparavant.

Il faut souligner le coût de cette focalisation, certes légitime au regard du contexte, qui détourne cependant l’attention d’autres urgences tout aussi vitales, comme la lutte contre le changement climatique.

 

L’impasse d’une défense éclatée : l’Union européenne toujours absente

Le retour en grâce des services nationaux illustre aussi les limites structurelles de l’intégration européenne dans le domaine militaire. L’UE ne possède pas de véritable armée, et en vertu des traités, la défense reste une compétence des États. Résultat : chacun développe ses propres dispositifs, ses propres budgets, ses propres priorités.

Cette fragmentation multiplie les doublons et engendre un gaspillage de temps, d’argent et d’efficacité. Ce paradoxe est d’autant plus criant que des financements colossaux entièrement dédiés à la défense sont prévus à la fois au niveau national et européen pour les années à venir. Le tout alors que les gouvernements imposent des coupes budgétaires sévères et demandent toujours plus d’efforts à des populations déjà fragilisées…

 

Un service obligatoire ? Aucun pays n’ose franchir le pas

Malgré les discours, les inquiétudes et les nouvelles formes de mobilisation, aucun pays européen n’envisage réellement de réinstaurer un service militaire obligatoire.

Mais par petites touches, questionnaires, volontariats encadrés, réformes du SNU, les États recréent une culture de la préparation militaire. L’avenir de cette dynamique reste incertain, mais il inspire peu d’optimisme.

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