Exposition à Madrid : rompre le silence sur la complicité coloniale de l’art occidental

Une exposition au prisme de la mémoire décoloniale

Le musée Thyssen de Madrid a entrepris une démarche audacieuse en revisitant ses collections pour exposer les traces invisibilisées de la violence coloniale. Les commissaires ont retenu 73 œuvres, issues des collections anciennes et contemporaines du Thyssen, afin de décrire les conséquences du processus colonial qui a débuté au XVIe siècle et ses répercussions dans le monde actuel. Parmi les œuvres les plus emblématiques, on retrouve le portrait monumental de David Lyon (peint par Thomas Lawrence), fils de propriétaire de plantations en Jamaïque et indemnisé pour avoir libéré 463 esclaves après l’abolition de l’esclavage, présenté non plus comme un modèle de réussite mais comme un bénéficiaire direct de la violence institutionnalisée et d’un crime contre l’Humanité. Pour la première fois, le musée sort de l’amnésie historique en contextualisant ses œuvres de manière à dévoiler les réalités historiques derrière les façades de grandeur.

Réécrire l’Histoire, vraiment ?

Face aux accusations de « réécriture de l’Histoire », il est important d’insister sur le fait que la démarche décoloniale ne consiste pas à falsifier ou effacer les faits, mais au contraire, à enrichir notre compréhension collective du passé. Cette approche vise donc à réintégrer les récits des peuples colonisés, souvent ignorés ou délibérément omis par les narrations dominantes écrites par et pour les colonisateurs. En mettant en lumière les biais et les omissions qui ont historiquement servi à légitimer la violence coloniale, l’exposition du musée Thyssen constitue ainsi une étape essentielle dans cette démarche. C’est d’autant plus pertinent que cette collection, dominée à 95 % par des œuvres d’artistes masculins blancs, reflète les préférences d’une élite économique européenne du XXe siècle ignorant les voix et les luttes des peuples opprimés. 

Aujourd’hui, la quête de vérité historique s’inscrit comme une exigence de justice non seulement pour les victimes passées de l’oppression coloniale, mais aussi pour une société contemporaine encore profondément marquée par les séquelles du colonialisme. En embrassant une perspective décoloniale et antiraciste, nous défions les récits réducteurs qui maintiennent les inégalités et œuvrons à forger une mémoire collective juste et représentative.

Au delà des musées : décoloniser l’espace public

Adopté en 2022, le plan régional de Bruxelles pour la décolonisation de l’espace public s’inscrit dans une ambition similaire en visant à démanteler la glorification persistante des symboles coloniaux, tels que les monuments et noms de rues, qui célèbrent encore aujourd’hui des figures comme le roi Léopold II – principal responsable des atrocités et exactions commises au Congo dans un cadre profondément raciste. À l’instar de l’exposition du musée Thyssen, ce plan ambitionne de dévoiler les pans occultés de l’Histoire belge et de reconnaître la violence infligée aux populations colonisées. En replaçant au centre les voix historiquement effacées et en recontextualisant ces symboles, Bruxelles se place en pionnière d’une justice mémorielle active, contribuant à déconstruire les récits qui ont légitimé et perpétué l’oppression coloniale.

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