Ces dernières années, une tendance préoccupante s’installe dans notre société, en particulier parmi les plus jeunes : la montée du masculinisme et de la misogynie, notamment dans les écoles et chez les jeunes garçons.
Nous pourrions penser qu’avec l’évolution des mentalités, la libération de la parole et l’émancipation progressive des femmes, la misogynie reculerait peu à peu. Pourtant, la réalité semble aller dans le sens inverse. De nombreux signalements ces derniers mois font état d’une montée de la misogynie dans les établissements scolaires, touchant tant les élèves que les professeurs. Selon la newsletter Les Petites Glo, 73 % des utilisateurs·trices des réseaux sociaux appartenant à la génération Z ont été confronté·e·s à de la misogynie en ligne. Ces chiffres alarmants s’accompagnent d’un taux extrêmement élevé d’agressions sexuelles chez les jeunes filles aux États-Unis. En conséquence, les problèmes de santé mentale sont particulièrement marqués chez les jeunes filles : 60 % d’entre elles déclarent avoir ressenti des sentiments extrêmes de tristesse ou de désespoir, et un quart ont envisagé, voire planifié, un suicide. Cette tendance suscite de vives inquiétudes non seulement aux États-Unis mais également en Europe, notamment au Royaume-Uni, où les enseignant·e·s s’alarment de l’influence néfaste de la misogynie en ligne.
Misogynie en ligne : la porte ouverte aux féminicides
Cette misogynie, bien que souvent cantonnée aux espaces en ligne, peut sembler anodine. Pourtant, elle ouvre la voie à des comportements bien plus graves. La série Adolescence, disponible sur Netflix depuis mars 2025, illustre cette trajectoire dangereuse. Ce drame en quatre épisodes suit une famille britannique dont le fils de 13 ans est accusé du meurtre d’une camarade de classe, explorant la culture incel et l’impact des réseaux sociaux sur les jeunes. Avec près de 130 millions de vues, cette série est déjà envisagée comme outil pédagogique dans les collèges et lycées pour sensibiliser aux dangers d’un mauvais usage des réseaux sociaux. Cependant, comme le souligne Marcus Maloney, professeur au Centre des cultures post-digitales de l’Université de Coventry, il serait simpliste d’attribuer ce phénomène aux seuls réseaux sociaux. Le problème est bien plus vaste et systémique, ancré dans notre société bien avant l’essor du numérique.
Les racines du masculinisme
Une étude récente du Haut-Commissariat pour l’Egalité montre que les jeunes femmes se revendiquent de plus en plus féministes, tandis que les jeunes hommes adoptent davantage de comportements sexistes. Le fossé entre les genres se creuse, nourrissant incompréhension et peur. Le masculinisme naît principalement de cette insécurité masculine liée à un sentiment de perte de contrôle. La culture de l’incel (Involuntary Celibate) reflète cette frustration : des hommes convaincus que leur célibat est le résultat de la structure sociale actuelle, marquée par le féminisme ou la valorisation des « mâles alpha » par rapport aux autres hommes. Cette frustration se traduit parfois par des violences, tant envers les femmes que par des actes plus extrêmes, comme des fusillades de masse. Les réseaux sociaux jouent ici un rôle crucial, offrant des espaces – les « manosphères » – où des influenceurs comme Andrew Tate et Axel Hitchens canalisent cette colère vers les femmes et le féminisme.
La manosphère : un espace de fraternité toxique
La manosphère, bien qu’apparaissant comme un espace de développement personnel pour les hommes, est en réalité un terreau pour les discours antiféministes et misogynes. Les vidéos de figures comme Andrew Tate semblent d’abord proposer des conseils pour devenir plus séduisant ou plus riche, mais glissent progressivement vers des commentaires sexistes. Une fois la confiance gagnée, les messages antiféministes se renforcent, alimentant un cercle vicieux de haine et de ressentiment. Ces influenceurs, malgré leur popularité, sont souvent mêlés à des affaires criminelles, comme Tate, poursuivi pour viol et traite d’êtres humains, agressions sexuelles ou agressions physiques.
Les femmes aussi s’y mettent ?
Le phénomène ne touche pas uniquement les hommes. Certaines femmes, regroupées sous le mouvement des « tradwives » (épouses traditionnelles), prônent un retour aux normes patriarcales, où la femme se consacre au foyer tandis que l’homme pourvoit aux besoins financiers. Ces idéologies, popularisées sur les réseaux sociaux, alimentent l’idée d’un ordre social genré, confortant les schémas sexistes déjà existants. Ces phénomènes sont donc envenimés par les réseaux sociaux mais n’ont pas été créés par les réseaux sociaux. Ils existent et sont inhérents à notre société. La misogynie est présente dans toutes les sphères et commence dès l’éducation, quand la première leçon de français est « le masculin l’emporte sur le féminin ». Même si cela n’est « qu’une règle de grammaire », elle pose tout de même des bases sexistes dans ce qui nous constitue en tant « qu’êtres évolués » : la parole et l’écriture. Petit à petit, la distance entre les genres s’agrandit avec les éducations normées, et beaucoup de garçons intériorisent une supériorité certaine par rapport aux filles. Cela contribue donc à un sentiment d’infériorité chez les filles et un mal-être présent chez les deux genres. Le masculinisme représente avant tout un recul des droits humains (autant pour les femmes que pour les hommes) et encourage des rapports de force binaires toxiques.
Mais alors comment enrayer ce masculinisme surreprésenté ?
Plusieurs solutions sont proposées pour contrer cette montée du masculinisme. La première étape consiste à améliorer les relations interpersonnelles au sein des familles, notamment en écoutant et en valorisant la parole des jeunes filles, souvent minimisée ou associée à de l’émotivité. De plus, certains pays envisagent de restreindre l’accès aux réseaux sociaux pour les moins de 16 ans, comme en Australie, ou d’interdire les téléphones à l’école, comme en France. Plutôt que d’interdire, il semble plus pertinent de promouvoir une éducation critique aux réseaux sociaux, afin d’armer les jeunes contre les discours de haine.
La lutte contre le masculinisme est un chantier de longue haleine, impliquant un changement profond dans les mentalités dès l’enfance. La construction d’une société plus égalitaire nécessite une déconstruction des biais sexistes pour briser l’héritage patriarcal qui perpétue ces inégalités.
Face à cette problématique grandissante, l’Union européenne a tout intérêt à prendre les devants pour élaborer une politique commune de prévention et de lutte contre le masculinisme et la misogynie. En coordonnant les efforts des États membres, en investissant dans des programmes éducatifs et en soutenant les initiatives locales, l’UE peut contribuer à une réponse collective plus forte face à ce phénomène qui touche l’ensemble du continent. L’intégration de mesures de sensibilisation et de prévention dans les politiques sociales et éducatives des États membres pourrait également favoriser une prise de conscience collective et un engagement concret pour l’égalité des genres.