Le système belge de protection sociale traverse aujourd’hui une période de transformation préoccupante. Les réformes successives déplacent de plus en plus la charge de la sécurité sociale fédérale vers l’aide sociale locale, transférant la responsabilité des personnes sans emploi vers les Centres Publics d’Action Sociale (CPAS).
Un renforcement des inégalités et de la surcharge des CPAS
La réforme annoncée en 2025 par la ministre Anneleen Van Bossuyt porte sur la limitation des allocations de chômage à deux ans maximum. Cette décision entrera en vigueur à partir de 2026. Concrètement, les personnes dont les droits aux allocations prennent fin au terme de ce délai devront se tourner vers les CPAS pour bénéficier du revenu d’intégration. Le gouvernement justifie cette mesure comme un moyen de responsabiliser les demandeur·euse·s d’emploi afin d’éviter les « abus » du système et de réorienter les aides vers celles et ceux qui en ont réellement besoin.
Cependant, cette réforme est surtout problématique à plusieurs égards.
Tout d’abord, elle transfère massivement la charge des personnes sans emploi de la sécurité sociale fédérale vers les CPAS, qui devront accueillir un nombre croissant de bénéficiaires dans des conditions déjà très tendues. En fait, cette situation va accroitre la précarité des individus concernés. Beaucoup d’entre eux se retrouveront sans ressources suffisantes pour vivre dignement, fragilisant des familles déjà vulnérables.
Ensuite, la réforme met en évidence des risques d’inégalités régionales. Les CPAS bruxellois et wallons, déjà fortement sollicités, devront absorber une part importante des exclusions de chômage de longue durée, aggravant les fractures sociales et économiques existantes entre régions.
Enfin, les mesures d’accompagnement prévues (c’est à dire les compensations financières, le renforcement du personnel et les incitations à l’effort) sont jugées insuffisantes par les actrices et acteurs sociaux. Ces derniers alertent massivement sur la surcharge administrative et le manque de moyens pour assurer un suivi efficace. La réforme introduit également une responsabilisation accrue des bénéficiaires via les contrats de projet individualisé d’intégration sociale (PIIS), mais cette logique de contrôle est surtout punitive, stigmatisante et insuffisante pour lutter contre la pauvreté structurelle.
Le statut de cohabitant : une injustice structurelle renforcée par les dernières réformes
Le statut de cohabitant montre aussi une injustice structurelle d’autant plus aiguë que le gouvernement durcit aujourd’hui son application dans le cadre du Revenu d’intégration sociale (RIS).
Héritage d’une logique budgétaire et patriarcale datant de 1981, il réduit les droits des personnes qui vivent sous un même toit, pénalisant historiquement les femmes et décourageant toute solidarité domestique.
La réforme portée en 2025 par Anneleen Van Bossuyt et Frank Vandenbroucke renforce encore cette logique en limitant le cumul d’aides au sein d’un ménage et en élargissant le calcul du RIS aux revenus de l’ensemble des personnes ayant une « obligation alimentaire » (parents, grands-parents, enfants adultes, beaux-parents, etc.). Concrètement, de nombreux bénéficiaires verront leurs allocations fortement diminuer, avec un risque réel d’appauvrissement, comme le soulignent les CPAS, la Ligue des familles et le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté, qui rappellent que les situations mises en avant pour justifier la réforme sont marginales et que la fraude en CPAS est très faible.
Cette mesure alourdit le travail d’enquête sociale, renforce le contrôle des ménages et pousse encore davantage de foyers sous le seuil de pauvreté. Alors qu’en 2023, la Cour des comptes démontrait déjà que l’individualisation des droits serait financièrement soutenable, le maintien et le durcissement du statut de cohabitant relèvent désormais d’un choix politique qui fragilise les plus précaires.
Les réformes récentes s’inscrivent dans une même dynamique : un déplacement de responsabilités vers les CPAS, une augmentation des contrôles, une réduction des droits et un affaiblissement des mécanismes de solidarité. Ces réformes vont accroître la pauvreté et fragiliser les personnes déjà vulnérables. Les choix politiques actuels se détournent d’une sécurité sociale inclusive pour privilégier une logique de restriction et de suspicion.