En Belgique, la réforme du chômage fait déjà grincer des dents. Mais ce n’est plus seulement son contenu qui inquiète : c’est la manière dont elle est défendue. En avançant un chiffre erroné sur la proportion d’étranger·e·s parmi les personnes exclues du chômage, le ministre de l’Emploi, David Clarinval, a déclenché une tempête politique et morale. Entre manipulation des données et stigmatisation des populations d’origine étrangère, c’est toute la responsabilité du pouvoir politique dans le façonnage de l’opinion publique qui est en cause.
Un chiffre qui enflamme le débat
Tout a commencé avec une question de la députée socialiste Sophie Thémont au ministre de l’Emploi, David Clarinval du MR (Mouvement Réformateur), sur l’impact d’une réforme sur les populations vulnérables, notamment les personnes en situation de handicap, âgées ou issues de l’immigration. Le ministre a alors affirmé que 57 % des futures personnes exclues du chômage « sont d’origine étrangère, donc moins de la moitié sont Belges », un chiffre rapidement relayé par les médias, puis par lui-même et le président du MR, Georges-Louis Bouchez.
Or, cette donnée provenait d’une étude de la Banque Carrefour de la Sécurité Sociale (BCSS) sur les chômeur·se·s d’origine étrangère, et non sur les étranger·e·s au sens de la nationalité. Selon l’ONEM, seules 19,2 % des personnes concernées sont effectivement de nationalité étrangère. Le reste regroupe des Belges mais dont l’un ou les deux parents ne le sont pas, autrement dit des citoyen·ne·s belges à part entière. La confusion n’était donc pas anodine : elle substitue à la réalité sociale une vision ethnique du chômage.
Le pouvoir des mots, le poids des chiffres
Face au tollé, le ministre a nié toute volonté de stigmatiser. Pourtant, le mal était fait. La donnée erronée a été répétée plusieurs fois avant d’être corrigée, nourrissant le soupçon d’une manipulation délibérée. Le Parti socialiste a d’ailleurs réagi avec virulence sur les réseaux sociaux : « Un ministre peut se tromper. Mais quand il ment deux fois, ce n’est plus une erreur, c’est une stratégie. »
Et cette stratégie, si elle existe, est lourde de conséquences. Car un ministre n’est pas un commentateur parmi d’autres : il porte une responsabilité de vérité. Les chiffres qu’il avance ne sont pas des opinions, mais des outils de décision publique. Falsifier ou instrumentaliser les données, revient donc à manipuler le débat démocratique.
Cette confusion volontaire entre origine et nationalité n’est pas seulement un glissement sémantique : c’est une manière d’alimenter un discours de suspicion envers les minorités, en laissant entendre qu’elles seraient surreprésentées dans les abus ou la fraude. Le ministre a en effet justifié ses propos en évoquant la nécessité de renforcer les contrôles contre la fraude au domicile, suggérant un lien implicite entre fraude et origine étrangère alors que ce lien n’a jamais été démontré par aucune étude.
Quand la rhétorique politique flirte avec la xénophobie
Qualifier de « non Belges » des personnes nées, élevées et vivant en Belgique, simplement parce que leurs parents ne le sont pas, revient à nier leur identité et leur appartenance à la communauté nationale. Ce n’est plus une erreur de langage : c’est une négation symbolique.
En assimilant « origine étrangère » à « étranger·e », le discours ministériel entretient un imaginaire politique dangereux : celui d’une société divisée entre « vrais Belges » et « les autres ». C’est une manière détournée de justifier les exclusions sociales en les rendant acceptables aux yeux de l’opinion publique, en désignant des boucs émissaires faciles dans un contexte économique tendu. Ce type de discours, loin d’être anecdotique, s’inscrit dans un glissement à droite du discours gouvernemental, qui adopte parfois les codes et les réflexes du populisme : obsession de la fraude, désignation d’ennemis intérieurs, instrumentalisation de l’identité nationale.
Et ce virage n’est pas sans conséquences. Dans un marché du travail déjà marqué par de fortes discriminations, en particulier à l’embauche, de tels propos ne font qu’aggraver la stigmatisation des personnes d’origine étrangère. Le risque, c’est que la réforme du chômage, censée rendre le système « plus juste », devienne un outil d’exclusion fondé sur des préjugés raciaux.