« One in, one out » : l’indécente arithmétique de la politique migratoire franco-britannique

Entré en vigueur le 6 août 2025, l’accord migratoire dit « one in, one out » entre la France et le Royaume-Uni prétend dissuader les traversées dangereuses de la Manche. En réalité, il institutionnalise une logique comptable inhumaine, où la vie et la dignité des personnes exilées sont réduites à un simple jeu d’équilibre entre admissions et expulsions.

 

Une nouvelle tentative de coopération franco-britannique

Le 6 août 2025, un nouvel accord entre le Royaume-Uni et la France est entré en vigueur. Selon ce texte, Londres s’engage à accueillir sur son territoire le même nombre de personnes que celles qu’elle renvoie vers la France. Seules les personnes n’ayant pas tenté d’entrer illégalement sur le sol britannique peuvent être admises dans le cadre de ce mécanisme.

Les deux gouvernements présentent cet accord comme destiné à « dissuader les traversées périlleuses de la Manche sur des embarcations précaires ». Cet accord s’inscrit dans une volonté de longue date des deux États de réguler les flux migratoires, qui s’intensifient au fil des ans. Au cours des six premiers mois de 2025, près de 20 000 personnes exilées auraient franchi la Manche, soit une hausse de 48 % par rapport à la même période de 2024.

En outre, depuis le Brexit, le Royaume-Uni ne dispose plus d’un mécanisme de renvoi automatique des demandeurs d’asile vers le pays de première entrée en Europe. L’accord du 6 août se voulait donc une solution bilatérale pour pallier ce vide juridique. Mais la mise en œuvre s’est rapidement révélée chaotique et déséquilibrée.

 

Une application déséquilibrée et opaque

Sur le papier, la règle semble claire : une personne renvoyée vers la France pour une autre admise au Royaume-Uni. Mais en pratique, le déséquilibre est flagrant : selon Mediapart, depuis août, 26 personnes migrantes ont été renvoyées vers la France, contre 18 seulement admises au Royaume-Uni. Londres aurait en outre dressé une liste de 245 candidat·e·s à l’expulsion, en attente de transfert.

Par ailleurs, le choix des personnes renvoyées ou admises est relativement opaque. L’accord laisse aux autorités une large marge de manœuvre : elles peuvent refuser un visa sans justification, et le Royaume-Uni peut même suspendre le mécanisme « lorsqu’il l’estime nécessaire ».

Comme le dénonce Imogen Townley, avocate au cabinet Wilson LLP, « il semble y avoir une approche assez arbitraire et chaotique de la sélection des personnes arrivant sur de petites embarcations ». Parmi celles expulsées vers la France, certaines avaient pourtant des proches installés au Royaume-Uni, soulevant une possible violation de l’article 8 de la CEDH, qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale.

 

Des conditions de détention indignes et une atteinte aux droits fondamentaux

Au Royaume-Uni, les personnes arrivées illégalement sont placés en centres de rétention pour des périodes pouvant atteindre plusieurs mois. D’après des témoignages recueillis par Le Monde, les hommes sont enfermés par deux dans des cellules, privés de liberté la nuit de 21h à 7h, puis de nouveau durant la pause de midi. Certains ont tenté de se suicider, d’autres ont ingéré de la lessive ou entamé des grèves de la faim.

En France, les conditions ne sont guère plus rassurantes. En septembre 2025, un homme arrivé au Royaume-Uni à bord d’un small boat a réussi à bloquer temporairement son renvoi vers la France, affirmant y avoir été victime d’esclavage moderne.

Enfin, le flou demeure total sur le sort des personnes renvoyées en France dans le cadre de l’accord, les autorités françaises n’ayant communiqué aucune information sur l’accompagnement social ou juridique prévu pour elles. Les ONG dénoncent une violation manifeste des droits fondamentaux, et craignent qu’en étant déplacées d’un pays « sûr » à un autre, elles soient en réalité abandonnés dans un vide administratif.

 

Le mythe du « pays sûr » et la réalité des parcours brisés

Le mécanisme s’appuie sur la notion de « pays sûr », principe issu du système européen de « distribution » des demandeurs d’asile. Mais cette fiction juridique se heurte à la réalité vécue. Être renvoyé dans un pays classé « sûr » ne signifie pas s’y sentir en sécurité.

Le Monde rapporte le cas d’un Érythréen de 26 ans menacé d’expulsion vers la Pologne, un pays marqué par de fortes manifestations hostiles à l’immigration. Pour lui, comme pour tant d’autres, chaque transfert réactive la peur et le sentiment d’injustice.

Loin d’assurer une protection efficace, l’accord franco-britannique ne fait donc que déplacer le problème géographiquement, tout en aggravant la précarité et la détresse psychologique des personnes concernées.

 

« One in, one out »  : l’arithmétique du déni

Sous couvert de rationalité administrative, l’accord « one in, one out » consacre une vision comptable des migrations, où l’humain disparaît derrière des quotas. Les personnes migrantes deviennent des unités d’échange, des variables d’ajustement. Comme le conclut Alternatives Économiques, cet accord « traite les personnes comme des paquets que l’on s’échange, et ajoute encore au déni dans lequel s’aveuglent des dirigeants de plus en plus éloignés de la réalité ».

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